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Lettre ouverte de SUD au Conseil d’État à l’occasion du 14 juin 2024

Madame la Présidente du Conseil d’Etat,

Mesdames les Conseillères d’Etat,

Messieurs les Conseillers d’Etat,

Nous avons sous les yeux votre communication du jour sur intranet. Vous accordez donc au personnel des allégements d’horaire, dès 15h, pour participer au 14 juin, sous conditions.

Vous symbolisez votre communication par l’image d’une nettoyeuse, le poing gauche levé.

Quand on sait que vous externalisez ce secteur depuis des années pour ainsi dégrader les conditions de travail et baisser les salaires, on ne peut que souligner le cynisme de votre démarche.

En cette veille du 14 juin 2024, il s’agit pour nous de revenir sur quelques éléments que votre gouvernement, pas plus que ceux qui l’ont précédé depuis quelques années maintenant, n’a accompli pour faire avancer la cause des femmes, pour faire bouger les lignes de force qui permettent de concrétiser les revendications des travailleuses.

Vous et les ministres qui vous ont précédé·es avez eu beau multiplier les déclarations de convenance, insignifiantes dans leur portée effective, il y a des revendications décisives et simples qui restent à accomplir.

Nous n’allons pas traiter ici des grandes échéances nationales mais très simplement de ce qui nous touche au plus près dans ce canton, de ce qu’il est si urgent d’accomplir.

Vous savez comme nous que les bas salaires des femmes, les rentes insuffisantes, l’inégalité insupportable repose sur ce partage inégal des tâches de soin et d’attention aux autres. Cela se dit le « care ». Peu importe comment ce travail est appelé, il est d’abord cela, extorqué, capté.

Notre revendication prétend tout simplement commencer à réparer cela dans les secteurs public et parapublics. Depuis des années, nous nous battons pour qu’un bonus éducatif de deux ans dans le cadre des cotisations à la Caisse de pensions de l’Etat de Vaud (CPEV) soient instauré afin que le sort des travailleuses devienne meilleur quand elles partent à la retraite. Ce bonus doit être intégralement à la charge de l’employeur public. Le principe de cette revendication est connu. On le trouve dans l’AVS. En l’intégrant dans le 2e pilier, on y met un peu plus de justice, un peu d’égalité, un peu de reconnaissance du travail gratuit effectué par les femmes. Bien entendu, votre gouvernement ne parle jamais de cette revendication. Il ne traite jamais de cette demande et, il évite comme chat sur braise, de parler de son financement. Car il ne s’agit pas seulement d’introduire le bonus éducatif mais bien de dire clairement qui doit payer. C’est vous, gouvernement, qui devez mettre la main à la poche. Car le travail de « care » gratuit, revient à économiser de gigantesques sommes en matière de service public en imposant aux femmes un labeur gratuit.

Ce financement touche non seulement pour la CPEV, mais implique aussi une augmentation des subventions pour toutes les caisses des secteurs parapublics. La mesure est simple : réalisez là.

Venons-en maintenant aux bas salaires des femmes, aux temps partiels contraints, à la flexibilité imposée. L’Union syndicale suisse vient de redire la revendication d’un salaire minimum de CHF 5’000.- mensuels x 13 pour toutes les personnes porteuses d’un CFC. Cette revendication nous la partageons avec force, avec détermination. C’est la base pour combattre les salaires exigus et parfois misérables imposés aux femmes. Et les CHF 5’000.- mensuels x 13 pour les CFC sont inséparables des CHF 4’500.- mensuels x 13 pour les
non-qualifié·es.

Pour que le salaire minimum devienne effectif, il faut qu’il y ait un taux d’activité suffisant pour que ce ne soit pas l’employeur qui décide combien on travaille et donc combien on gagne. A l’Etat de Vaud on ne compte plus les femmes qui voudraient effectuer plus d’heures que l’employeur public ne leur en donne. On ne compte plus les femmes ainsi réduites à un salaire de misère qui ne peuvent trouver assez de travail. Gouvernement vaudois cessez de faire des déclarations sur le droit des femmes et donnez à ce problème une solution. Salaire minimum, temps suffisant de travail. Faites-le, maintenant.

Pour les travailleuses, dans le public comme dans le parapublic, l’indexation des salaires à l’augmentation réelle du coût de la vie est indispensable. Ne pas indexer les salaires revient à les réduire, à les baisser délibérément, à précariser, à appauvrir. Le gouvernement le sait parfaitement. Il ne suffit pas, sur cette question, de parler du salaire direct. Ce sont tous les éléments du salaire socialisé qu’il faut également indexer à la hausse réelle du coût de la vie : bourses, rentes, aides, subventions, prestations complémentaires, retraites…

Nous savons très bien que le gouvernement, sous prétexte d’un déficit budgétaire qu’il construit à dessein, se prépare à mettre en question le peu d’indexation formelle et insuffisante qu’il a accordé jusqu’ici. Par un décor en carton-pâte de déficit budgétaire, le Conseil d’Etat vaudois poursuit sa politique de fiscalité favorable aux privilégiés et d’attaques contre les salaires des employ·és qu’il salarie ou subventionne. Et parmi ces salarié·es, les femmes travailleuses sont la majorité.

L’employeur public vaudois a proclamé, urbi et orbi, l’égalité des salaires dans ses administrations. C’est une pure fiction. L’égalité à fonction identique et même ancienneté dans le travail est plus ou moins réalisée, formellement. Déconstruire à ce propos les divers trajets de carrière ferait apparaître des inégalités intéressantes. Mais ce n’est pas de cela que nous voulons traiter maintenant. Le Conseil d’Etat évite de parler d’un élément central en matière d’égalité salariale. Les professions dites « féminines » ou qui ont été « féminisées » au long de leur histoire sont tout simplement moins bien classées et moins bien payées que les professions où l’empreinte masculine est plus forte. Le système de classification de la fonction publique cantonale, DECFO-SYSREM, ne tient aucun compte de ce traitement inégal. Il l’ignore et le Conseil d’Etat fait semblant de ne pas savoir de quoi on lui parle quand il s’agit d’évoquer cette discrimination. Il faut que cette inégalité soit prise en compte partout, dans les secteurs public et parapublics. Il faut que les systèmes de classification changent, intégrant et corrigeant cette discrimination.

Nous savons bien que parmi les manœuvres qui visent à péjorer les conditions et les prestations de la CPEV, il y a la tentative de détruire progressivement ou plus rapidement le collectif 2 de la Caisse (santé, enseignement, sécurité publique …) où les femmes sont particulièrement nombreuses. Ce qu’il faut, très vite, c’est établir des critères qui permettent de faire justice à la pénibilité de travaux et de fonctions où les femmes sont très nombreuses voire majoritaires. Si un maçon, et c’est justice, peut partir à 60 ans, il n’y a aucune raison que les femmes qui œuvrent dans le nettoyage ne puissent prendre leurs retraites au même âge. Il faut systématiquement revoir les conditions et les critères de pénibilité des métiers et des labeurs pour que justice soit faite aux femmes, pour qu’elles puissent partir avant que le travail n’ait dévoré leur santé, leur intégrité. Qu’attend le Conseil d’Etat dont le pouvoir est décisif sur cet objet pour commencer à œuvrer ?

Enfin, la Suisse n’a jusqu’ici pas signé la convention 190 de l’OIT qui prétend assurer à chacun·e un travail dans des conditions dignes. Si le Conseil d’Etat veut réellement avancer dans la protection des femmes contre le harcèlement, les violences sexistes et sexuelles, la maltraitance, il peut en toute facilité déclarer qu’unilatéralement il s’engage à respecter et à appliquer les dispositions de cette convention. Cela ne coûtera rien aux ressources publiques et ce sera un geste de justice et de volonté politique qui honorera ce gouvernement et ses ministres.

Ce courrier n’épuise pas la question de l’égalité et de l’émancipation des femmes mais des éléments décisifs y figurent. Il s’agit de contribuer au déploiement d’une véritable politique féministe qui touche les femmes travailleuses parmi les 70’000 employé·es de la fonction publique et des secteurs parapublics. Mesdames et Messieurs du gouvernement, Ministres, faites quelque chose pour que vos discours commencent à s’ancrer dans la réalité de l’émancipation. Soyez féministe, un peu du moins.

Nous vous souhaitons bonne lecture de ce texte et vous saluons, Mesdames et Messieurs les ministres, le plus civilement du monde.

Secrétariat fédéral de SUD

Place Chauderon 5, CH-1003 Lausanne